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Comme tout le monde

— Mais je ne sais pas, moi !… fit le petit déconcerté.

Puis, se souvenant tout à coup :

— Ah ! oui… Ses vers ?… Eh bien, il les a tous brûlés, le soir que tu l’avais grondé, tu sais, quand il m’avait giflé ?… Je me rappelle très bien, maintenant. Il les a brûlés dans la cheminée de notre chambre… Il croyait que je dormais, mais je l’ai vu.

Isabelle lâcha les épaules du petit Louis si brutalement qu’on eût dit qu’elle le repoussait.

— Va-t’en !… cria-t-elle presque.

Délivré, l’enfant bondissait déjà dans l’escalier. Isabelle avait fermé les poings. Son pas de louve arpenta la chambre.

Ainsi ces vers écrits pour elle, tous ces papiers ignorés, elle ne les connaîtrait jamais ! Il les avait détruits, ce soir-là, comme s’il avait pu prévoir qu’il mourrait peu de temps après et que cette destruction serait un jour sa protestation d’enfant incompris !

Amaigrie dans sa robe de deuil, les joues creuses, les tempes vieillies de tant de nouveaux cheveux gris, la petite femme s’effondra sur une chaise, dans les gémissements amers du remords.

Elle avait cru tout perdre dans la vie, autrefois, et quand le destin lui avait donné ce tendre fils, ce consolateur, cet ami, elle n’avait pas su le deviner !