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Comme tout le monde

pauvre cabotinage dont les vivants entourent les tombes.

De par les soins de ceux qui restent, les invisibles habitants de cette ténébreuse cité provinciale continuent d’affirmer, par delà l’existence, leur vaniteuse, banale ou ridicule personnalité. Le petit Léon, lui aussi, possède une grille, des couronnes de perles, des bouquets dans des vases ; et la svelte croix qui marque la place de sa tête porte une épitaphe : Regrets éternels, inscrite là pour les passants, phrase pompeuse qui semble indiquer que les survivants, eux, ne meurent jamais, puisqu’ils regretteront éternellement.

Isabelle rôdait, touchante et pâle, parmi les tombes. Quelques feuilles sèches roulaient dans le sillage de sa robe noire. Cette promenade au jardin funèbre avivait son émotion. Elle y trouvait le charme indéfinissable, le sentiment de plénitude que nous aimons quand nous souffrons, et qu’on a nommé « la volupté dans la douleur ».

… Le soir après-dîner, remontée dans sa chambre, elle appela le petit Louis. Quand il fut devant elle, si joli dans ses habits noirs, elle l’examina d’abord sans parler, comme si elle ne le connaissait pas encore. Identique reproduction de son visage à elle, l’enfant roulait distraitement ses prunelles rousses de droite à gauche. Elle le tenait par