Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/238

Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
Comme tout le monde

Et la petite Chardier, de ce mot, demeurait consternée. Elle se souvenait des premières lettres du petit mis au lycée, ces lettres de bambin qu’elle avait gardées et qui lui avaient donné des remords. Pourquoi les avoir écrites, ces lettres, puisqu’il devait devenir si vite ce potache indifférent ? S’était-il découragé devant la fatalité ? Son apparente indifférence était-elle une suprême réserve de petit homme douloureux et réticent ? Avait-il jusqu’ici porté, dans son âme, la tragédie secrète de la timidité ?

Maintenant elle réfléchissait à ces deux pauvres vers qu’il avait écrits pour elle. Elle le revoyait, comme tous ces jours-ci, obstinément assis à quelques pas d’elle, alors qu’il l’agaçait de sa présence. Pourquoi voulait-il toujours être là près d’elle ? Était-ce donc lui, le rêveur, le petit poète honteux, entêté d’amour pour sa mère, l’enfant nostalgique, héritier des songes maternels, l’âme-sœur, enfin, qu’elle avait tant appelée ? Comme il avait dû souffrir, cet enfant qui, physiquement, ressemblait tant à son père et qui, peut-être, avait toute l’âme de sa mère !

— Mon chéri… murmurait Isabelle penchée, mon Léon… Mon petit lion…

Elle eût voulu l’interroger, lui arracher son mystère. Elle se sentait sur le bord d’une compréhen-