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Comme tout le monde

distinction du monde. On lui avait dit aussi : « Léon Chardier, c’est un beau causeur. » Alors elle s’était nourrie d’orgueil tout le long des fiançailles, et cela, dans son cœur, avait tenu la place de l’amour.

Mais elle se souviendra toute sa vie du premier étonnement qu’elle a eu, sans parler des autres, le jour que, mariée, elle a constaté que le mari ne ressemble guère au fiancé. C’était lorsqu’ils demeuraient encore chez sa mère. En rentrant, le soir, de la ville, Léon, au lieu de s’asseoir près de sa jeune femme et de flirter avec elle, a pris son journal, le même dont il se cache maintenant la figure, et s’est enfoncé dans une lecture profonde et sans distractions.

Isabelle, ce soir-là, s’est rendu compte que la lune de miel finissait déjà. Et, quoique sans aucun tempérament, elle s’en est sentie gravement humiliée. Puis, de jour en jour, elle s’est habituée, comme les autres. Elle a lentement vécu ce collage sans passion : le mariage bourgeois.

La promiscuité du lit, c’est peu. Il y a le boire et le manger en commun, le caractère en commun, les ennuis en commun, l’argent en commun. Et que tout cela ressemble mal aux fiançailles, aux bouquets blancs, aux bonbons, à la bouche en cœur, au baiser furtif sur les mains, lorsque le futur mari


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