Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/203

Cette page a été validée par deux contributeurs.
191
Comme tout le monde

Maintenant, Isabelle se forgeait des motifs d’aller à la cuisine.

La main sur la porte, prête à retourner à sa chambre, elle s’attardait quelquefois une heure à faire parler sa cuisinière.

C’était sa patrie, c’était son enfance qui parlaient par cette bouche fière aux dents noires. Elle retrouvait enfin le sentiment du home qu’elle avait perdu depuis son mariage. Et quand elle regardait les belles joues de la grosse Modeste, quand elle entendait chanter son accent, elle revoyait les prés, les ciels, les pommiers, les chemins creux de ses premières années.

Du reste, une question lui brûlait les lèvres, qu’elle n’osait formuler, par peur de trahir son émotion aux perspicaces yeux bleus qui la considéraient. Mais Modeste Morin jamais ne révélait rien de la vie des Taranne Flossigny. L’on eût dit qu’elle faisait à dessein exception pour cela.

Les jours passent. Isabelle, maladroite, ne sait comment faire parler la belle ribaude qui l’intimide. Enfin, un soir vient, un soir où Léon, absent pour un petit voyage d’affaires à Paris, ne doit rentrer que tard dans la nuit. Le petit Louis et Zozo sont couchés ; Julia, la femme de chambre, également. Madame Chardier, pour veiller, n’a gardé que la grosse Modeste.