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Comme tout le monde

Comme elle se raidissait, Isabelle, pour ne pas engager la conversation ! Il lui fallait, à ces moments, appeler à son aide toute l’armée des préjugés, convenances et autres absurdités bourgeoises qui défendent à une dame de parler avec sa servante comme avec une amie.

Les femmes, après tout, ne sont-elles pas toutes sœurs, à travers les classes qu’on a forgées pour les différencier ? Il semble qu’entre elles ne devrait pas exister cette distance que la culture intellectuelle crée réellement entre les mâles. Leur vie intense à elles n’est pas, comme chez les hommes, la vie de l’esprit ; aussi la fille du peuple, avec son impulsion directe, sa féminité très proche de l’instinct, a-t-elle chance d’être plus intéressante, plus fine et plus profonde que la sotte de la bourgeoisie qui cache la vérité de son être derrière le masque de carton des « us et coutumes ».

Isabelle, sans rien analyser, sentait que la grosse Modeste l’attirait plus que toutes les dames de la ville ensemble, mais elle n’osait pas se laisser aller à cette cordialité spontanée, parce qu’elle avait peur. Peur de quoi ?… Sans doute de ce vague et terrifiant croque-mitaine : la Société.

Peu à peu, cependant, elle se départit de cette pesante dignité. La grosse Modeste, d’ailleurs, était la première à maintenir les distances. Habi-