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Comme tout le monde

appelle, au catéchisme, les péchés mortels. Et les péchés mortels demeurent bien loin d’elle.

Simplement, bercée par ce train, elle se revoit, dans un chaos de pensées, durant ces deux ans de Nancy qui lui parurent si longs à vivre.

On lui avait donné, dans la maison de ses beaux-parents, l’une des grandes chambres, plus un petit cabinet de débarras. La fenêtre de ce cabinet donnait seule sur la rue. Mais, à cause d’un grillage, on ne pouvait avancer la tête dehors. Que d’heures Isabelle a passées là, le front contre l’obstacle, essayant de voir dans la rue ! Elle savait bien, pourtant, qu’on n’y rencontre que des visages sans événements. À peine si, le dimanche, à la promenade, un petit frisson vaniteux la traversait quand elle entendait murmurer : « Voilà les jeunes Chardier. Quel gentil ménage ! »

Avec une certaine malice intérieure qu’elle dirige souvent contre elle-même, elle se disait durant ces longs jours d’ennui : « Je suis, derrière ce grillage, comme dans un garde-manger. » Et ces deux ans de garde-manger ne lui laissaient qu’un souvenir bien morne. Vieux beaux-parents maniaques, mari préoccupé, bébé difficile : la petite Zozo n’était guère commode à l’âge du maillot. Ensuite, neuf nouveaux mois de grossesse, un nouvel accouchement, un nouveau bébé : le petit lion. Et c’est tout.