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Comme tout le monde

enfin, que fairre ?… Alors, on leur en veut de n’être que ce qu’ils sont, et l’on devient méchante. C’est pour cela qu’il vaut mieux les tromper pour rester bonne. Seulement, voilà… Quand on est honnête…

Elle lâcha les mains d’Isabelle, soupira, s’étira longuement :

— Ah !… l’amour et le mariage, ça n’a rien à voir ensemble ! Je le sais aussi, ma chère !… Pas pour les mêmes raisons que vous.

Isabelle, interloquée, s’était arrêtée de pleurer. Le langage de la marquise lui paraissait sublime, mais ténébreux, effrayant ; elle y distinguait pourtant une douleur près de laquelle la sienne n’était qu’une chose bien anodine. Cette femme souffrait atrocement dans la vie. Était-ce donc à cause du marquis ? Mais oui, nécessairement, puisque…

Isabelle sentit qu’elle allait de nouveau rougir à en mourir, et elle détourna la tête.

La marquise s’était levée. Elle fit une espèce de bond vers un violon qui dormait là, sur une table. Elle en tira quelques notes basses et désolées, puis, tout en jouant, le menton posé sur le bois rouge, sa belle main maniant l’archet, elle se mit à fredonner des syllabes incompréhensibles, sur un ton mineur qui vous arrachait l’âme. Puis ses mains retombèrent, lasses. Elle jeta le violon parmi les coussins, resta debout, absente, nostalgique.