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Comme tout le monde

compris les chagrins de son humble sœur de lait, mais elle a tout de même discerné quelque chose de capital : l’incompréhension de Léon Chardier pour sa petite femme sentimentale, enfantine et rêveuse.

— Vous êtes honnête, voilà le malheur… prononce-t-elle lentement. Mais enfin, que fairre ?… Vous ne trompez pas votre mari… Alors, vous ne pouvez pas être heureuse, ni lui heureux.

Un haut-le-corps d’Isabelle ne l’arrête pas. La marquise ne se rend pas compte qu’elle dit des choses plus qu’extraordinaires à cette petite femme nourrie de banalités provinciales ; et puis elle ne peut pas savoir ce que de telles paroles, prononcées par elle, femme du marquis, ont de poignante ironie.

Elle continue, la voix sourde, alors que ses longs yeux, dans sa belle figure pâle, changent à tout instant de nuance :

— Ils veulent être trompés, ma chère. Cela leur ôte un peu du fardeau de l’âme féminine. C’est trop lourd à porter pour un seul, l’âme d’une femme. Pensez donc ! On leur apporte tout ce qu’on a, ses désirs d’enfant, ses rêves de jeune fille, sa vanité, son sentiment, sa chair, son esprit, et puis ce cœur qui veut aimer… qui veut aimer !… et puis toute cette poésie… Mais il faudrait que les hommes fussent des dieux pour nous satisfaire !… Mais