Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/159

Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
Comme tout le monde

Isabelle ne peut pourtant pas révéler à cette femme ce qui la fait surtout souffrir. Mais gagnée, séduite, ne s’appartenant plus, elle raconte pêle-mêle, en courtes phrases sanglotantes, tous ses petits rêves d’enfant, meurtris par la vie, les mauvaises humeurs de son mari, les souvenirs qu’elle a de Linda, de sa mère, le caractère étranger de sa fillette, ses mésaventures avec les bonnes, ses corvées de ménagère, son désir de chant, toute la mesquinerie de sa vie sans idéal, sans clarté, sans ailes. Elle parle, elle parle. Elle n’a jamais exprimé tout haut ces choses. Son langage est celui d’une écolière : « Et puis encore… », répète-t-elle le cœur crevé, essoufflée.

À mesure que ces petites phrases s’envolent, le visage de la marquise exprime une stupeur mal cachée. C’est cela, les peines d’une bourgeoise ? Quoi ! des bonnes, des balais, des marmots, des gros sous, tout cela peut arriver à constituer du malheur ?

Isabelle a levé les paupières. Les deux femmes s’examinent réciproquement. La richesse les sépare, la richesse qui, tout de même est une grandeur, donne aux misères de la vie une forme plus dramatique, moins piètre.

Au bout d’un moment, la marquise reprend les mains gantées d’Isabelle. Elle n’a pas très bien