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Comme tout le monde

« Maintenant, c’est au pavillon qu’il m’attend, et cela devient terrible. Je sais très très bien, si je vais l’y voir, que j’en reviendrai coupable. Quel dommage qu’un homme ait toujours ce désir qui rend l’amour si grave !… Je l’aime, pourtant, je l’aime ! Faut-il que j’aie peur de lui ! Faut-il que l’élan de mon cœur soit une chose criminelle ! »

Les yeux d’Isabelle se fixent dans le vide plein d’ombre de la chambre. N’est-elle pas déjà criminelle rien qu’à cause de ce baiser qui, tout à l’heure, l’a mordue ? Léon n’est-il pas déjà trompé, lui qui, sur les lèvres de sa femme, rencontrera, sans le savoir, le souvenir d’une autre bouche ?

En si peu de temps, quelle trame de mensonge ourdie entre l’honnête petite Chardier et son mari ! Isabelle sent qu’elle n’est pas faite pour le mensonge. Elle en souffre trop. Le mensonge sera toujours pour elle comme une robe qui gêne aux entournures. Elle ne peut pas bien respirer, dans le mensonge. Il lui est certainement arrivé, comme à toutes les ménagères de cacher quelque petite vérité concernant la dépense ou le service ; et même, ces jours derniers, quand elle allait au plateau suivie de ses enfants, sans avoir prévenu Léon à l’avance, elle ne se sentait pas vraiment coupable. Cela, c’est du mensonge, pour ainsi dire, passif.