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Comme tout le monde

« Ah !… » fit-elle.

La bouche du marquis était sur la sienne, et la caresse des longues moustaches finement parfumées.

Elle ne fit pas un geste pour se défendre. Debout dans l’air froid, les mains embarrassées par le manchon, le parapluie, le petit sac, elle restait immobile, la tête posée sur l’épaule du beau seigneur, les yeux fermés, avec un visage calme et comme endormi.

Ce n’est pas, en elle, l’éclair sensuel qui zigzague à travers tout le corps féminin, l’éclair « d’Éros qui relâche les membres ». Les sens d’Isabelle, sous ce baiser, ne se sont pas éveillés. Ce qui la laisse ainsi sans force, appuyée contre l’élégant pardessus du monsieur, c’est une sensation d’autre sorte, une sensation de confiance totale, de confiance physique et morale en l’être qui, d’abord, lui prit son cœur, et qui, maintenant, l’étreint étroitement avec ce bras vigoureux, comme étreindrait un héros en vous sauvant de la mort. Les lèvres qui continuent si fougueusement à ravager les siennes ne l’atteignent pas dans sa chair. Ce baiser, pour elle, est celui d’une âme embrassant son âme.

— Je vous aime… murmure-t-elle.

Et toute la poésie du monde voile ses yeux d’enfant.