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Comme tout le monde

Quand M. Benoît, capitaine retraité, disait, voulant parler des polyglottes : « C’est beau d’être polygone », un travail d’une vertigineuse rapidité se faisait dans l’esprit d’Isabelle : « Polyglotte… langues étrangères… parler anglais… j’ai parlé anglais avec le marquis. »

Et dès que ce mot « marquis » avait touché sa pensée, elle devenait si violemment rouge que tout le monde le remarquait.

Elle finit par se voir forcée d’inventer des raisons à ces vapeurs soudaines. « Oh ! mon Dieu !… s’écriait-elle au hasard, j’ai un élancement dans la dent ! »

Devenue violette, elle se tenait la joue ; on la plaignait, on lui offrait des remèdes ; et son mensonge devenait si ridicule qu’elle avait envie de pleurer.

Chez elle, à table, quand elle sentait que Léon allait dire sa fameuse plaisanterie : « Il te faut des marquis, à toi ! » elle aimait mieux se lever d’un bond pour éviter le désastre, ne savait plus que faire pour expliquer ce sursaut, courait à la cuisine en déclarant qu’elle sentait une odeur de brûlé, ou bien prétendait entendre marcher dans le jardin, afin de pouvoir se précipiter aux vitres. Et tout cela lui donnait une allure incohérente qu’elle craignait de voir commenter.

De la sorte, sa vie était une torture de tous les