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Comme tout le monde

ment qu’on distinguerait qu’un Chinois est un Chinois.

Au bout de quelques instants, le marquis dit :

— Je vais vous faire les honneurs de mon plateau, chère madame.

Et voici qu’ils marchaient côte à côte, séparés par la trottinante Zozo. Ils causèrent. Le français et l’anglais alternaient. Isabelle réentendait, avec un transport mal contenu, la voix spéciale, très douce, un peu nasillarde, qui, du bout des lèvres, laissait tomber les mots avec une sorte de négligence, de lassitude. Elle eût voulu pouvoir, dans un flot de paroles, dire à cet homme l’inexprimable plaisir qu’elle éprouvait à le voir. Tandis qu’elle bavardait si gentiment sur des choses menues, tout son être criait : « Près de vous seul, je me sens bien. Près de vous seul, je respire. Près de vous seul, ma petite beauté, ma jeunesse, ma force, vivent dans leur plénitude. Près de vous seul, je comprends ce que l’existence peut signifier. Je bondis vers vous de tout mon élan, de toute ma confiance. Mon âme obscure, touchante et timide, de petite femme quelconque, vous appartient. Vous que je ne connais pas, je vous aime plus que moi-même, je vous aime plus que mon enfance. La minute où je vous ai vu m’a fait oublier les lentes vingt-quatre années de mon passé. Vous êtes tout