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Comme tout le monde

tance et que, si elle se risquait jusqu’au petit chemin, elle n’y rencontrerait peut-être pas M. de Taranne. Enfin elle se servit de cette crainte comme d’un prétexte vis-à-vis d’elle-même.

« Je serais curieuse de voir si je l’y rencontrerais vraiment », formula-t-elle, un matin, mentalement. Et, forte de cette curiosité derrière laquelle elle voulait, à ses propres yeux, masquer une autre envie, elle s’habilla, quand vint l’heure de la promenade, avec plus de soin qu’à son ordinaire. Elle n’osa revêtir ni belle robe, ni beau chapeau, ni beau jupon, mais se permit ses bottines du dimanche, sa voilette neuve et ses gants frais. Elle mit beaucoup de soin à se poudrer les joues, à lisser ses tempes, à faire bouffer sa frange cuivrée. Elle s’était regardée dans la glace, elle fut surprise de s’y voir jolie, plus jolie qu’elle ne l’avait jamais été, malgré la fatigue nerveuse où elle vivait depuis trois jours.

L’amour, qui est la raison d’être des femmes, est aussi leur ornement, surtout quand il est, comme celui d’Isabelle, fait d’espoir mystérieux, de candeur illusionnée, de timidités enhardies. La petite Chardier a vu dans la glace qu’elle était jolie, mais il y a plus : elle sent qu’elle est jolie. Et, dès lors, c’est comme si sa volonté devait envoûter la destinée.