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LA VIE DE SON ESPRIT

ginalités ayant précédé la sienne ; beaucoup y virent une occasion de repousser les réputations admises et contenter l’instinct individualiste, lequel fait dire en secret : « S’il peut arriver qu’un nom hier inconnu bouscule aujourd’hui les noms consacrés, pourquoi pas le mien aussi ? Pourquoi, demain, ne serait-ce pas mon tour d’être considéré comme le plus étonnant poète ?… » Mais la plupart, mi-amateurs, mi-bourgeois ou mi-snobs, voulaient uniquement se donner l’avantage d’être premiers à connaître un talent qualifié par eux de « rare » — ils insistaient sur ce vocable, — parce que précéder le vulgaire en la connaissance et la possession d’un objet de luxe, non répandu encore, c’est tout de suite se poser comme étant plus « à la dernière mode » et ils s’empressaient de « lancer » Rimbaud comme on lance un nouveau manche de parapluie.

Rimbaud était justement le contraire du rare et de l’inattendu. Il ne fallait pas voir dans sa poétique une révolution, une démolition, un changement de route, mais une reconstruction et un point d’arrivée.