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HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

l’on y envoie de simples frères, instituteurs vêtus d’une soutane qui ont contracté un

    paire de chopes, nous chantions ensemble ce couplet des Cent Vierges qu’il avait rapporté autrefois de Paris, et qu’il aimait :

    Heureusement
    Qu’à ce moment
    Nous n’avons pas perdu la tête,
    Et qu’en nageant
    Adroitement,
    Nous avons bravé la tempête…

    Un dimanche matin, j’appris subitement que je ne pourrais disposer de ma journée. J’allai à l’endroit où il m’attendait : j’étais si contrarié que je fus brusque : « Impossible aujourd’hui !… » Ce pauvre Rimbaud n’avait pour toute distraction, au bout d’une morne semaine, que cette promenade avec l’ami d’enfance. Il devint très rouge, baissa la tête, se passa la main sur la nuque en un geste d’accablement… Je m’écriai, tout ému : « Cela te fait de la peine !… » Il sourit, balbutia quelques mots ironiques à l’adresse de lui-même et sur une faiblesse qu’il n’avait pas contenue, puis aussitôt parla d’autre chose avec sérénité.

    Que l’on me pardonne ce personnalisme. J’ai cru intéresser le lecteur par quelques traits du caractère de Rimbaud. De ses anciens condisciples je ne fus pas toujours le seul à lui tenir compagnie dans ses périodes de repos ardennais. Il retrouva Ernest Millot, si doux, si joyeux, si ardent, qui mourut jeune, hélas !… âme charmante dont la mienne portera toujours le deuil ;