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HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

tembre 1871 — Rimbaud me lit Bateau ivre. « J’ai fait cela, dit-il, pour présenter aux gens de Paris ». Comme je lui prédis alors qu’il va éclipser les plus grands noms, il reste mélancolique et préoccupé : « Qu’est-ce que je vais faire là-bas ?… Je ne sais pas me tenir, je ne sais pas parler… Oh ! pour la pensée, je ne crains personne (sic)… »

Le lendemain matin, cependant, quand je le vois à la gare de Charleville (Deverrière lui a donné vingt francs pour payer sa place en chemin de fer), il est rasséréné : l’idée de cette liberté conquise enfin, l’amusement d’un voyage avec bon accueil au bout… Mme Rimbaud n’est pas avertie, cela va sans dire, il n’emporte rien… que ses manuscrits. Verlaine, forcément, avait prévu Rimbaud d’après ce qu’il venait d’en lire, et, quoique informé de son âge, attendait un homme. « Je m’étais, je ne sais pourquoi, figuré le poète tout autre. C’était pour le moment, une vraie tête d’enfant dodue et fraîche sur un grand corps osseux et comme maladroit d’adolescent qui grandissait encore, et de qui la voix, très accentuée en ardennais, presque pa-