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LA VIE DE SON ESPRIT

je me rasseois. Mes mains ne peuvent rien tenir. Je ne puis, en marchant, détourner la tête de mon seul pied et du bout des béquilles. La tête et les épaules s’inclinent en avant et vous bombez comme un bossu. Vous tremblez à voir les gens et les objets se mouvoir autour de vous, crainte qu’ils ne vous renversent pour vous casser la seconde patte. On ricane à vous voir sautiller. Rassis, vous avez les mains énervées, l’aisselle sciée, la figure d’un idiot. Le désespoir vous reprend, et vous demeurez assis comme un impotent complet, pleurnichant et attendant la nuit qui rapportera l’insomnie perpétuelle et la matinée encore plus triste que la veille. » (Lettre du 15 juillet 1891).

Même ces tourments se prouvaient inutiles pour sauver la vie ; l’amputation n’avait pas emporté le mal, qui gagnait sur d’autres points.

Dieu précipitait la fin par l’envoi de sa grâce : la mutilation, l’infirmité, la souffrance. Il opprimait le corps pour assurer, définitif, le triomphe de l’esprit. Mais notre orgueil est si vivace qu’il se récrie et n’admet pas sans