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LA VIE DE SON ESPRIT

très longtemps, si des complications n’obligent pas à couper la jambe. En tout cas je resterai estropié. Mais je doute que j’attende. La vie m’est devenue impossible… »

Et quand cet actif, cet inquiet, pour qui le mouvement fut toujours une impérieuse nécessité, cet allant infatigable qui trouvait dans la marche une ivresse consolante, fut obligé de savoir que l’ancienne souplesse des membres ne reviendrait en aucun temps, qu’il ne marcherait plus, qu’il se traînerait… lui qui avait franchi à pied deux fois la chaîne des Alpes, lui qui entreprit jadis de traverser de même, dans sa longueur et d’un bout à l’autre, la péninsule italienne, son désespoir jaillit en ces mots d’une simplicité poignante qui évoquent les grandes lamentations de l’antique tragédie : « Que je suis donc malheureux ! Que je suis donc devenu malheureux !… » (même lettre du 23 mai).

La jambe tomba sous le couteau du chirurgien.

« … Voici le beau résultat : je suis assis et, de temps en temps, je me lève et sautille une centaine de pas sur mes béquilles, puis