Page:Delahaye - Rimbaud, l’artiste et l’être moral, 1923.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
LA VIE DE SON ESPRIT

et, dans un passé mystérieux, quelque roman grandiose, le sauvage employé, qui connaît toutes les langues, ne pourrait répondre que par les paroles amères que Michel-Ange grava sur la statue de la Nuit :

…Non sentir m’è gran ventura
Però non mi destar ! [1]

« Donc elle dort, la morne statue, mais que son sommeil est plein de cauchemars et de soubresauts ! Pour chasser la pensée, il ne voudrait plus qu’agir : l’action n’est pas assez vertigineuse à son gré, pas assez constante ; et il y revient, le torturant moustique.

« Alors étouffer l’imagination en bourrant la mémoire, en la gorgeant des nourritures les plus fortes et les plus lourdes. Il veut lire, pour remplir les nuits sans sommeil, les nuits ardentes… Lire quoi ? des romans, des vers, de l’histoire ?… Il demande, le poète, il envoie en Europe les économies faites sur son salaire pour qu’on lui adresse les ouvrages que voici :

  1. Ne pas sentir m’est grande chance : ne m’éveille pas…