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LA VIE DE SON ESPRIT

Cette hantise des deux amours ne l’avait guère quitté, même à l’époque où il s’adonnait à la « chasse spirituelle » et voulait récrire, plus complet, le carnet d’Helvétius. « Orgueil plus bienveillant que les charités perdues », s’écrie une Illumination (Génie) : Ainsi, dans le pire temps d’ivresse imaginative il n’avait au moins pas oublié ces deux charités que la doctrine réunit en une seule pour obéir à Jésus. D’où vient une pareille obsession des sentiments religieux chez l’athée Rimbaud ?

    entrer dans les détails, à prévoir les cas, sa logique rigoureuse prescrivant la patience et le pardon jusqu’à rendre le bien pour le mal, son éloge des petits enfants, modèles d’innocence, le conseil de ne pas « juger » autrui (le « jugement » produisant toujours de l’aigreur qui souvent tourne en haine), cette prière qu’il dicte, pour façonner par des représentations choisies notre mentalité, nous mettre mieux en communication avec le Père et nous aider à en obtenir la force dont nous pourrions manquer pour la tolérance et le pardon, cela indique une intention dominante : retirer aux hommes tout motif de se nuire mutuellement, c’est un système conservateur de l’ordre dans la création, introduit chez des êtres émotifs et portés par là au désordre : le Créateur seul, qui eut ses raisons pour leur donner une sensibilité aiguë, devait vouloir la diriger dans l’intérêt de son œuvre entière.