Page:Delahaye - Rimbaud, l’artiste et l’être moral, 1923.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
LA VIE DE SON ESPRIT

ivre[1]. Et l’auteur de ce dernier poème n’a pas tout à fait mis dehors le « sens moral » tant raillé par Helvétius, il n’a pas entièrement désavoué ses rêves généreux, celui qui trahit par une sorte de sanglot étouffé ses amertumes de révolutionnaire vaincu :

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de coton,
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons[2].

Car il comprend que le temps est passé où les prolétaires pouvaient s’affranchir par des coups de force, et comme il ne suppose pas d’autres moyens, tout lui semble perdu, fini… La déception, le découragement, la colère vont accélérer l’évolution du poète. Bientôt ce n’est plus seulement par goût et curiosité d’étude, c’est par désespoir qu’il veut s’ensevelir dans l’exclusive contemplation de sa vie mentale[3], réfléchissant le

  1. On peut y joindre Les Chercheuses de poux, minutieuse étude de sensations.
  2. Allusion aux navires où l’on gardait les déportés : Bateau ivre fut écrit pendant l’été de 1871.
  3. Il y aura cependant quelques distractions : Les Corbeaux et son projet d’Histoire magnifique en 1872.