Page:Delahaye - Rimbaud, l’artiste et l’être moral, 1923.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103
LA VIE DE SON ESPRIT

Ajoutons qu’il est alors en révolte contre la tradition catholique. De Lucrèce il retient donc surtout cette conjecture qu’une divinité régnante et providentielle peut être jugée inutile ; mais adopte, interprète à sa façon, avec un ardent enthousiasme, la théorie des atomes créateurs, d’une Nature mère et nourrice ; suit le poète latin quand celui-ci exalte la grandeur de l’homme, le néglige quand il parle de sa faiblesse — à laquelle ses espoirs démesurés préfèrent, en ce moment, ne pas croire — ; s’enivre de l’Invocation à Vénus ; trouve en conclusion personnelle que l’Amour est loi unique ; puis il chante tout cela dans son premier poème de belle et pure forme : Soleil et Chair[1] :

• • • •

Et quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang,
Que son immense sein, soulevé par une âme.
Est d’amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons.
Et tout croît et tout monte ! Ô Vénus, ô déesse !…

  1. 1870.