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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

trouvés bien entretenus ; mais, dans la folle idée que je pouvais m’échapper pour retourner le jour même, et de bonne heure encore, dans ma retraite paisible, je n’ai pas pris le temps d’aller voir le tombeau de mai bonne tante et du cher Chopin.

En arrivant chez moi, où j’allais tout brusque pour partir au plus vite, je trouve la lettre de Guillemardet[1] qui m’annonce que le lendemain il conduit à sa dernière demeure sa pauvre mère. Dès lors, j’ai été tranquille sur l’emploi de mon temps et je n’ai plus pensé à Champrosay.

Je mourais de fatigue ; ces sortes de dérangements m’accablent, mais me sont salutaires. Cette activité forcée est énervante pour moi, au moment même, mais elle entretient la vie et la circulation ; j’ai dormi profondément jusqu’à près de sept heures.

Réveillé par la faim, je crois, et été dîner chez l’Anglais de la rue Grange-Batelière. J’ai été ensuite prendre du café et fumer dans le café qui fait l’angle de la rue Montmartre. J’ai joui là, paresseusement, avec une espèce de plaisir philosophique, de la vue de cet ignoble lieu, de ces joueurs de dominos, de tous les détails vulgaires de la vie, de cette foule d’automates, fumeurs, buveurs de bière, garçons de café. J’ai conçu même le plaisir qu’on peut trouver à s’oublier jusqu’à la dégradation dans ces distractions. Je suis rentré, avec la même tranquillité, sans beaucoup

  1. Louis Guillemardet.