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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Le service étant à midi, je vais chez moi jusqu’à cette heure. Au milieu du service à l’église ou plutôt à la fin, arrive M. de Montebello, aide de camp de l’Empereur, sans voiture officielle et en petit uniforme. Le trait est si fort qu’il croit devoir s’excuser, prétexter des retards, auprès d’Eugène ; il est vrai de dire que l’Empereur n’avait pas été, à ce que je me crois fondé à croire, averti en règle ; c’était à sa fille ou à son petit-fils qu’il appartenait de faire cette notification qui peut-être n’a pas été faite du tout. Bref, moins de personnes encore ont accompagné le corps au cimetière, et, parmi ces personnes, pas un des anciens amis de M. de Lavalette. J’ai maudit et je maudis encore la timidité qui m’a empêché de prendre la parole pour dire là ce que devait sentir toute âme bien placée ; mais, en vérité, devant cet auditoire glacé et même profondément indifférent, c’était presque impossible ; il n’y avait qu’un avocat capable de se trouver inspiré.

La mémoire des hommes est bien courte : celle des événements est aussitôt enterrée que celle des personnages qui y prennent part. Sur toutes les personnes à qui j’ai dit ces jours-ci que j’avais été à Paris pour l’enterrement de Mme de Lavalette, pas une n’a imaginé de laquelle je voulais parler… Que de choses à dire sur cette morte, morte depuis quarante ans, fantôme imposant, dans rabaissement profond où nous l’avons vue !

J’ai été revoir mes pauvres tombeaux, que j’ai