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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

banal, émoussé, sans intention, sans chaleur. Il n’y a qu’à jeter les yeux sur ce sot et banal journal de l’Illustration, fabriqué chez nous par des artistes de pacotille, et le comparer au pareil recueil publié chez les Anglais, pour avoir une idée de ce degré de commun, de mollesse, d’insipidité, qui caractérise la plupart de nos productions. Ce prétendu pays de dessin n’en offre réellement nulle trace, et les tableaux les plus prétentieux pas davantage. Dans ces petits dessins anglais, chaque objet presque est traité avec l’intérêt qu’il demande : paysages, vues maritimes, costumes, actions de guerre, tout cela est charmant, touché juste, et surtout dessiné… Je ne vois pas chez nous ce qu’on peut comparer à Leslie[1], à Grant[2], à tous ceux de cette école qui procèdent partie de Wilkie[3],

  1. Charles-Robert Leslie, né à Londres en 1794, mort en 1859. Il passa sa jeunesse aux États-Unis. Il fit des tableaux de petite dimension représentant des scènes empruntées aux grands écrivains, Shakespeare, Cervantes, Molière, Walter Scott. On a dit de lui « qu’il excellait à faire les portraits vivants des êtres que le poète avait rêvés ». Il exposa à Paris à l’Exposition universelle de 1855.
  2. Francis Grant, né en 1803 dans le comté de Perth, mort en 1878. Walter Scott écrit dans son Journal à propos de lui : « S’il persévère dans cette profession (la peinture), — c’était à l’époque de ses premiers débuts, — il deviendra l’un de nos peintres les plus éminents. » Il se distingua surtout comme portraitiste et fixa l’image de plusieurs illustrations anglaises (J. Russell, Macaulay, Disraeli, Landseer). A l’Exposition universelle de 1855, ses portraits lui valurent la grande médaille.
  3. A propos d’une œuvre de Wilkie (1785-1841), Delacroix écrivait en 1858 : « Un de mes souvenirs les plus frappants est celui de son esquisse de John Knox prêchant. Il en a fait depuis un tableau qu’on m’a affirmé être inférieur à cette esquisse. Je m’étais permis de lui dire en la voyant, avec une impétuosité toute française, « qu’Apollon lui-même, prenant le pinceau, ne pouvait que la gâter en la finissant. » (Corresp., t. II, p. 192.)