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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Dîné chez Parchappe. Ennui profond ; pas l’intérêt le plus mince, et le loto pour finir, avec de vieilles femmes et des adolescents. Il faut avouer que j’y ai pris de l’intérêt à la fin parce que j’ai gagné. Étrange animal que l’homme !

Je me suis promené plus d’une demi-heure devant ma maison, dans la crotte ; j’avais besoin de respirer. Il était près de minuit quand je suis rentré de cette partie de plaisir.

17 juin. — Je pense, le lendemain dimanche, en me levant, au charme particulier de l’École anglaise. Le peu que j’ai vu m’a laissé des souvenirs. Chez eux, il y a une finesse[1] réelle qui domine toutes les intentions de pastiche qui se produisent çà et là, comme dans notre triste école ; la finesse chez nous est ce qu’il y a de plus rare : tout a l’air d’être fait avec de gros outils et, qui pis est, par des esprits obtus et vulgaires. Otez Meissonier, Decamps, un ou deux autres encore, quelques tableaux de la jeunesse d’Ingres, tout est

  1. Chaque fois que l’on touche à l’opinion de Delacroix sur l’école anglaise de peinture, il convient de se référer à la belle lettre qu’il écrivit à Théophile Silvestre en 1858, que nous avons déjà plusieurs fois citée. Et pourtant on y trouve ce passage qui paraît en contradiction avec ce qu’il note dans son Journal trois années auparavant : « Je ne me soucie plus de revoir Londres : je n’y retrouverais aucun de ces souvenirs-là (Wilkie, Lawrence, Fielding, Ronington), et surtout je ne m’v retrouverais plus le même pour jouir de ce qui s’y voit à présent. L’école même est changée. Peut-être m’y verrais-je forcé de rompre des lances pour Reynolds, pour ce ravissant Gainsborough que vous avez bien raison d’aimer, » Mais ce n’était là qu’une boutade momentanée, car la fin de la lettre prouve d’une façon évidente sa sympathie pour le mouvement préraphaélite. (Corresp., t. II, p. 190, 191.)