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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

4 mai. — Le système, tant prôné par les romantiques, du mélange du comique et du tragique comme le pratique Shakespeare, peut être apprécié comme on voudra. Le génie de Shakespeare a droit d’y accoutumer l’esprit par la force, par la franchise des intentions et la grandeur du plan, mais je crois ce genre interdit à un génie secondaire ; nous devons à cette maladroite intention nombre de mauvaises pièces et de mauvais romans : les meilleurs parmi ces derniers, pendant ces trente dernières années, en sont furieusement gâtés : ceux de Dumas, ceux de Mme Sand, etc.

Mais ce n’est pas le seul inconvénient que la littérature moderne présente à cet endroit ; on n’écrit pas aujourd’hui un sermon, un voyage, un rapport même sur la première affaire venue où on ne prenne tour à tour tous les tons. Thiers lui-même, dans sa belle histoire, et tout imbu qu’il est des traditions et des grands exemples de notre langue, n’a pu résister à ces péroraisons, fins de chapitres, réflexions entachées du style pleurard et sentimental. Un homme qui écrit un voyage décrit tous les couchers de soleil, tous les paysages qu’il rencontre avec un comique attendrissant, qu’il croit fait pour gagner le lecteur. Ce mélange des styles dans chaque morceau est pour ainsi dire à chaque ligne. « Et on écrit aujourd’hui, dit Voltaire, des histoires en style d’opéra-comique », etc. Il est bon que chaque chose soit à sa place. Quand cet homme étonnant écrit la Pucelle, il ne tire pas le lecteur du style léger et badin, il ne sort