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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

monie où le dessin et la couleur se réunissent dans un effet unique. Il faut se rappeler ce peintre ancien qui, ayant exposé une peinture représentant un guerrier, faisait entendre en même temps, derrière une tapisserie, des fanfares de trompettes.

Les modernes ont inventé un genre qui réunit tout ce qui semble pouvoir charmer l’esprit et les sens : c’est l’opéra[1]. La déclamation chantée a plus de force que celle qui n’est que parlée. L’ouverture dispose à ce que l’on va entendre, bien que d’une manière vague. Le récitatif expose les situations et établit le dialogue avec plus de force que ne ferait une simple déclamation, et l’air, qui est en quelque sorte le point d’admiration, le moment de la passion par excellence dans chaque scène, complète la sensation par la réunion de la poésie et de tout ce que la musique peut y ajouter ; joignez à cela l’illusion des décorations, les mouvements gracieux de la danse, en un mot la pompe et la variété du spectacle.

Malheureusement, tous les opéras sont ennuyeux parce qu’ils nous tiennent trop longtemps dans une situation que j’appellerai abusive. Le spectacle qui tient les sens et l’esprit en échec fatigue plus vite Vous êtes promptement rassasié de la vue d’une galerie de tableaux ; que sera-ce d’un opéra qui réunit dans un même cadre l’effet de tous les arts ensemble ?

  1. Voir notre Étude, p. xliii et xliv.