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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

ciel nuageux et variable, mais qu’ils ont exagérés outre mesure, laissant parler, plus haut que leurs qualités, les défauts qu’ils tiennent de la mode et du parti pris. Ils ont des tableaux magnifiques, mais qui ne présenteront pas cette éternelle jeunesse des vrais chefs-d'œuvre, exempts, j’oserais dire, tous d’enflure et d’efforts.

22 février. — Réalisme. Le réalisme devrait être défini l’antipode de l’art[1]. Il est peut-être plus odieux dans la peinture et dans la sculpture que dans l’histoire et le roman ; je ne parle pas de la poésie, car par cela seul que l’instrument du poète est une pure convention, un langage mesuré, en un mot, qui place tout d’abord le lecteur au-dessus du terre à terre de la vie de tous les jours, ce serait une plaisante contradiction dans les termes, qu’une poésie réaliste, si on pouvait concevoir même ce monstre. Qu’est-ce que serait, en sculpture par exemple, un

  1. Cette question du réalisme dans l’art, qu’il avait déjà examinée à maintes reprises et à propos de laquelle nous avons tenté de résumer son opinion dans notre Étude, on la trouve traitée fragmentairement dans plusieurs passages de l’ouvrage déjà cité : « Le but de l’artiste, écrit Delacroix, n’est pas de reproduire exactement les objets : il serait arrêté aussitôt par l’impossibilité de le faire. Il y a des effets très communs qui échappent entièrement à la peinture et qui ne peuvent se traduire que par des équivalents : c’est à l’esprit qu’il faut arriver, et les équivalents suffisent pour cela. Il faut intéresser avant tout. Devant le morceau de nature le plus intéressant, qui peut assurer que c’est uniquement par ce que voient nos yeux que nous recevons du plaisir ? L’aspect d’un paysage nous plaît non seulement par son agrément propre, mais par mille traits particuliers qui portent l’imagination au delà de cette vue même. » (Eugène Delacroix, sa vie et ses œuvres, p. 405.)