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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

sible, ne pouvait, d’une part, ni le corriger de sa recherche, ni de l’autre lui donner l’espoir de se survivre et de se sentir admiré quand il ne se sentirait plus vivre.

Un ami de Jacques était un matérialiste parfait : c'était un homme pour qui ce petit domaine que nous appelons la science n’avait pas de coin qu’il n’eût fouillé et approfondi. Il se demandait avec chagrin d’où cette âme immortelle aurait obtenu ce privilège de l'être toute seule au milieu de tout ce que nous voyons ; à moins de faire décidément de cette âme des portions, des émanations du grand être, il lui semblait quelle dût partager le soit commun, naître, si quelque chose qui n’est rien peut naître, se développer dans sa nature et périr. Pourquoi, se disait-il, si elle ne doit finir, aurait-elle commencé jamais ?

Les âmes innombrables de toutes les créatures humaines, y compris celles des idiots, des Hottentots et de tant d’hommes qui ne diffèrent en rien de la brute, auraient existé de toute éternité ? Car enfin, la matière, sauf ses modifications successives, est dans ce cas : il fallait donc dans cette immensité de riens quelque chose destinée un jour à donner l’intelligence à celle-ci. Pourquoi, si l’esprit ne se perd pas, les créations des grandes âmes ne participent-elles pas à ce privilège ?

Un bel ouvrage semble contenir une partie du génie de son auteur. Le tableau, qui est de la ma-