Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Faire un livre[1] est une besogne à la fois si respectable et si menaçante, qu’elle a glacé plus d’une fois l’homme de talent prêt à prendre la plume pour consacrer quelques loisirs à l’instruction de ceux qui sont moins avancés que lui dans la carrière. Le livre a mille avantages sans doute : il enchaîne, il déduit les principes, il développe, il résume, il est un monument ; enfin, à ce titre, il flatte l’amour-propre de son auteur au moins autant qu’il éclaire les lecteurs ; mais il faut un plan, des transitions ; l’auteur d’un livre s’impose la tâche de ne rien omettre de ce qui a trait à sa matière.

Le dictionnaire, au contraire, supprime une grande partie… S’il n’a pas le sérieux du livre, il n’en offre pas la fatigue ; il n’oblige pas le lecteur haletant à le suivre dans sa marche et dans ses développements ; bien que le dictionnaire soit ordinairement l’ouvrage des compilateurs proprement dits, il n’exclut pas l’originalité des idées et des aperçus : mal inspiré serait celui qui ne verrait dans le dictionnaire de Bayle, par exemple, que des compilations. Il soulage l’esprit, qui a tant de peine à s’enfoncer dans de longs développements, à suivre avec l’attention convenable ou à classer et à diviser les matières. On le prend et on le quitte ; on l’ouvre au hasard, et il n’est pas

  1. « L’auteur a le plus grand respect pour ce qu’on appelle un livre ; mais combien y a-t-il de gens qui lisent véritablement un livre ? Il en est bien peu, à moins que ce ne soit un livre d’histoire ou un roman. » (Eugène Delacroix, sa vie et ses œuvres, p. 434.)