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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

sements de sa protégée ! Heureux homme ! heureuse insouciance ! Il mérite de mourir comme les héros, sur le champ de bataille, sans connaître les angoisses de la fin, la pauvreté sans remède et l’abandon.

Il me disait qu’avec ses deux enfants, il est comme seul. Ils vont l’un et l’autre à leurs affaires et le laissent se faire consoler par son Isabelle. D’un autre côté, Mme Gavé me disait le lendemain que sa fille se plaignait de la société d’un père qui n’était jamais à la maison… Étrange monde !

25 mai. — Au conseil. — Auparavant, j’ai été avec Jenny voir des seaux à rafraîchir le vin de Champagne.

Les collègues, comme les autres, remarquent mon Salon[1], et me parlent des compliments qu’ils en entendent faire.

  1. A propos de ce Salon de 1855, Baudelaire avait écrit cette conclusion enthousiaste, qui venait après une étude détaillée des œuvres offertes au public : « Homme privilégié, la Providence lui garde des ennemis en réserve ! Homme heureux parmi les heureux ! Non seulement son talent triomphe des obstacles, mais il en fait naître de nouveaux, pour en triompher encore, il est aussi grand que les anciens dans un siècle et dans un pays où les anciens n’auraient pas pu vivre… Les nobles artistes de la Renaissance eussent été bien coupables de n’être pas grands, féconds et sublimes, encouragés et excités qu’ils étaient par une compagnie illustre de seigneurs et de prélats, que dis-je ? par la multitude elle-même, qui était artiste en ces âges d’or. Mais l’artiste moderne qui s’est élevé si haut malgré son siècle, qu’en dirons-nous, si ce n’est de certaines choses que ce siècle n’acceptera pas, et qu’il faut laisser dire aux âges futurs ? » (Voir les Curiosités esthétiques.) A cet article enthousiaste Delacroix répondait ainsi : « Cher Monsieur, je n’ai reçu qu’ici votre article par-dessus les toits, Vous êtes trop bon de me dire que vous le trouvez encore trop