Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
364
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

qui viennent les premiers n’ont point de précédents à craindre ; le champ était libre devant eux ; derrière eux, aucun précédent pour enchaîner leur inspiration. Mais chez les modernes, au milieu de nos écoles corrompues et intimidées par des précédents bien faits pour enchaîner des élans présomptueux, rien de si rare que cette confiance qui seule fait produire les chefs-d'œuvre.

Bonaparte dit à Sainte-Hélène, en parlant de l’amiral Brueys[1], celui qui mourut si glorieusement à Aboukir : « Il n’avait pas dans la bonté de ses plans cette confiance, etc. », ni la véritable hardiesse, celle qui est fondée sur une originalité native. Il faut reconnaître qu’on rencontre trop fréquemment, chez le commun des artistes, une confiance aveugle dans des forces que s’attribue une vaniteuse médiocrité. Des hommes dépourvus d’idées et de toute espèce d’invention se prennent bonnement pour des génies et se proclament tels.

Dictionnaire. — Préface. — Ce qu’il importe dans un Dictionnaire[2] des Beaux-Arts, ce n’est pas de savoir si Michel-Ange était un grand citoyen (l’histoire du portefaix qu’il perce d’une lance pour étu-

  1. L’amiral Brueys d’Aigalliers (1753-1798).
  2. Delacroix écrivait à propos de ce projet de dictionnaire : « On pourra contester le titre de dictionnaire donné à un pareil ouvrage, à défaut d’un meilleur. On l’appellera, si l’on veut, le recueil des idées qu’un seul homme a pu avoir sur un art, ou sur les arts en général, pendant une carrière assez longue. Au lieu de faire un livre où l’on aurait cherché à classer par ordre d’importance chacune des matières… » (Eugène Delacroix, sa vie et ses œuvres, p. 431.)