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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

étaient plus audacieux à mesure qu’il avançait en âge. Napoléon lui-même a donné l’exemple de cette qualité extraordinaire.

Dans les arts en particulier, il faut un sentiment bien profond pour maintenir l’originalité de sa pensée en dépit des habitudes auxquelles le talent lui-même est fatalement enclin à s’abandonner. Après avoir passé une grande partie de sa vie à accoutumer le public à son génie, il est très difficile à l’artiste de ne pas se répéter, de renouveler, en quelque sorte, son talent, afin de ne pas tomber à son tour dans ce même inconvénient de la banalité et du lieu commun qui est celui des hommes et des écoles qui vieillissent. Gluck[1] a donné l’exemple le plus remarquable de cette force de volonté qui n'était autre que celle de son génie. Rossini a toujours été se renouvelant jusqu'à son dernier chef-d'œuvre, qui prématurément a clos son illustre carrière de chefs-d'œuvre. Raphaël, Mozart, etc., etc.

Hardiesse. Il ne faudrait cependant pas attribuer cette hardiesse, qui est le cachet des grands artistes, uniquement à ce don de renouvellement ou de rajeunissement du talent par des moyens d’effets nouveaux. Il est des hommes qui donnent leur me-

  1. On sait que Gluck composa ses plus belles œuvres et donna le plus frappant exemple de hardiesse à un âge où généralement les forces créatrices ont diminué, quand elles ne se sont pas complètement éteintes chez la plupart des artistes. Il en fut de même pour ce Titien, que Delacroix aima si passionnément dans la seconde partie de sa carrière d’artiste.