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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

15 mai. — Inauguration de l’Industrie. J’ai été ensuite, et imprudemment, à l’exposition des tableaux avec Dauzats et revenu avec lui jusque chez moi. J’y ai eu très froid.

J’ai vu l’exposition d’Ingres[1]. Le ridicule, dans cette exhibition, domine à un grand degré ; c’est l’expression complète d’une incomplète intelligence ; l’effort et la prétention sont partout ; il ne s’y trouve pas une étincelle de naturel.

Dauzats, en revenant, me conte l’histoire des travaux de Chenavard.

22 mai. — Dumas me fait demander le matin si je suis chez moi ; je lui réponds que j’y serai à deux heures. Il me demande des notes sur les choses les plus inutiles à savoir pour un public, comment je m’y prends dans ma peinture, mes idées sur

  1. A côté de ce jugement si sévère, et qui était évidemment l’expression définitive de sa pensée, il est intéressant de noter ce fragment de lettre que Delacroix écrivait au critique d’art Th. Silvestre, après l’envoi de son livre : Histoire des artistes vivants, français et étrangers : « Je n’ai pas encore lu la biographie d’Ingres, c’est-à-dire relu, car je suis encore à votre dernier envoi, dont je ne vous ai rien dit cet automne, parce que je suis parti très brusquement. Déjà, sur ce que vous m’en aviez dit à la volée, je vous avais exprimé mon sentiment. Je vous avais supplié d’ôter les personnalités, qui sont déjà une dérogation aux usages d’autrefois en parlant des vivants, même quand on en dit du bien. Avec cette franchise que vous aimez et dont j’use quelquefois pour mon compte, je vous disais que je regretterais que vous n’eussiez pas fait des changements dans ce sens, pour vous, pour moi, pour tout le monde. » (Corresp., t. II, p. 136.) M. Burty ajoute très justement en note que le passage en question « montre avec quel tact Delacroix désirait que l’on n’imitât pas dans son camp les furibonderies de ses adversaires ».