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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

attraits : mille femmes jolies sont là qui ne vous donnent pas une distraction. L’envie de tout avoir d’une personne qui nous a émus, une certaine curiosité, mobile puissant en amour, l’illusion peut-être de pénétrer plus avant dans cette âme et dans cet esprit, tous ces sentiments se réunissent en un seul ; et qui nous dit qu’au moment où nos yeux ne croient voir qu’un objet extérieur dépourvu d’attraits, certains charmes sympathiques ne nous poussent pas à notre insu ? L’expression des yeux suffit à charmer[1].

21 avril. — Dîné chez Legouvé avec Goubaux, Patin, etc., etc.

2 mai. — Ce soir chez l’insipide Païva. Quelle société ! Quelles conversations ! Des jeunes gens avec barbe et sans barbe ; des jeunes premiers de quarante-cinq ans, des barons et des ducs allemands, des journalistes, et tous les jours de nouvelles figures !

Amaury Duval y est venu. Je n’ai commencé à pouvoir ouvrir la bouche qu’avec lui ; j’étais pétrifié de tant d’inutilité et d’insipidité. Le bon X… croit être là en société. Comme on ne jure que par lui, qu’il fait là un excellent dîner chaque semaine et qu’il y mène sa donzelle, qu’on le consulte même sur les talents du cuisinier, qu’il décide s’il faut le conserver

  1. C’est en des passages comme celui-ci que se fait le mieux apercevoir l’analogie avec Stendhal, cette parenté spirituelle que nous notions dans notre Étude et qui avait frappé plusieurs de ceux qui le connurent.