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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

pour avoir rencontré, en suivant toutefois une sorte de tradition hiératique comme celle des Égyptiens, toute la perfection de leur sculpture. C’est la libéralité de leur esprit qui anime et féconde ces froides images consacrées d’un autre art soumis à une tradition inflexible. Mais si on les compare aux modernes, travaillés par tant de nouveautés que la marche des siècles a amenées par le christianisme, par les découvertes des sciences qui ont aidé à la hardiesse de l’imagination, enfin par suite de cette révolution inévitable dans les choses humaines qui ne permet pas qu’une époque soit semblable à celles qui l’ont précédée…

Les hardiesses téméraires des grands hommes ont conduit au mauvais goût ; mais chez les grands hommes, les hardiesses ont ouvert la barrière aux hommes futurs qui leur ressemblent. De même qu’Homère semble chez les anciens la source d’où tout a découlé, de même chez les modernes certains génies, j’oserai dire énormes, et il faut le mot comme signifiant aussi bien la grandeur de ces génies que leur impossibilité de se renfermer dans de certaines bornes, ont ouvert toutes les routes parcourues depuis eux, chacun suivant son caractère particulier, de telle sorte qu’il n’est pas de grands esprits venus à leur suite qui n’aient été leurs tributaires, qui n’aient trouvé chez eux les types de leurs inspirations[1].

  1. Sur les génies primitifs et leurs imitateurs, voir la même idée exprimée par Delacroix le 26 octobre 1853, t. Il, p. 258 et suiv.