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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

rues pour venir ici, vues à distance, forment les lignes les plus simples et les plus majestueuses ; vues de près, elles ne sont même plus des montagnes, ce sont des parties de rochers, des prairies, des arbres ou groupes ou séparés, des ouvrages des hommes, des maisons, des chemins, occupant l’attention tour à tour.

Cette unité, que le génie de Shakespeare établit pour l’esprit à travers ses irrégularités, est encore une qualité qui est propre à lui.

Mon pauvre Dumas, que j’aime beaucoup et qui se croit sans doute un Shakespeare, ne présente à l’esprit ni des détails aussi puissants, ni un ensemble qui constitue dans le souvenir une unité bien marquée. Les parties ne sont point pondérées ; son comique, qui est sa meilleure partie, semble parqué dans de certains endroits de ses ouvrages ; puis, tout à coup, il vous fait entrer dans le drame sentimental, et ces mêmes personnages qui vous faisaient rire deviennent des pleureurs et des déclamateurs. Qui reconnaîtrait, dans ces joyeux mousquetaires du commencement de l’ouvrage, ces êtres de mélodrame engagés à la fin dans cette histoire d’une certaine milady, que l’on juge en forme et qu’on exécute au milieu de la tempête et de la nuit ? C’est le défaut habituel de Mme Sand. Quand vous avez fini de lire son roman, vos idées sur ses personnages sont entièrement brouillées ; celui qui vous divertissait par ses saillies ne sait plus que vous faire verser des larmes