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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

quand elle sera construite, je n’y entrerai pas souvent ; c’est l’ancienneté qui les rend vénérables… Il semble quelles sont tapissées de tous les vœux que les cœurs souffrants y ont exhalés vers le ciel. Qui peut les remplacer, ces inscriptions, ces ex-voto, ce pavé formé de pierres tumulaires effacées, ces autels, ces degrés usés par les pas et les genoux des générations, qui ont souffert là et sur lesquelles l’antique Église a murmuré les dernières prières ? Bref, je préfère la plus petite église de village[1], comme le temps la faite, à Saint-Ouen de Rouen restauré, ce Saint-Ouen si majestueux, si sombre, si sublime dans son obscurité d’autrefois, qui est aujourd’hui tout brillant de ses grattages, de ses vitraux neufs, etc.

Je me suis enrhumé aujourd’hui en prenant ma dernière douche.

Le soir, dernière promenade sur la route de Saint-Loup. Je ne peux m’arracher à ces beautés. De tous

  1. Nous ne pouvons nous empêcher de rapprocher de ce passage un fragment du Curé de village de Balzac, de ce Balzac que Delacroix paraît n’avoir jamais compris, bien qu’il se montrât assez préoccupé de ses œuvres pour en extraire d’importants fragments dans son Journal. L’analogie de sentiment est complète ; c’est la description de la petite église habitée par le curé Bonnet : « Malgré tant de pauvreté, cette église ne manquait pas des douces harmonies qui plaisent aux belles âmes et que les couleurs mettent si bien en relief… A l’aspect de cette chétive maison de Dieu, si le premier sentiment était la surprise, il était suivi d’une admiration mêlée de pitié. N’exprimait-elle pas la misère du pays ? Ne s’accordait-elle pas avec la simplicité naïve du presbytère ? Elle était d’ailleurs propre et très bien tenue. On y respirait comme un parfum de vertus champêtres, rien n’y trahissait l’abandon. Quoique rustique et simple, elle était habitée par la prière, elle avait une âme : on la sentait, sans s’expliquer comment ! »