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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

cela ne diminue point l’impression. Je sens devant ces tableaux ce mouvement intérieur, ce frisson que donne une musique puissante. Ô véritable génie, né pour son art ! toujours le suc, la moelle du sujet avec une exécution qui semble n’avoir rien coûté ! Après cela, on ne peut plus parler de rien, ni s’intéresser à rien. Près de ces tableaux qui ne sont que des esquisses heurtées, pleines d’une rudesse de touche qui déroute dans Rubens, on ne peut plus rien voir.

Je dois mentionner cependant la grande salle qui précède le Musée, peinte à fresque par le peintre de Stanislas. On ne peut parler des figures après celles de Rubens ; mais l’ensemble de l’architecture, peinte également à fresque, forme un ensemble qu’on ne peut plus produire de nos jours.

En somme, Nancy est une grande et belle ville, mais triste et monotone : la largeur des rues et leur alignement me désolent ; je vois le but de ma promenade à une lieue devant moi en droite ligne. Il n’y a que le West-End à Londres qui soit plus ennuyeux, parce que toutes les maisons s’y ressemblent, et que les rues y sont plus larges encore et plus interminables. Strasbourg me plaît cent fois davantage avec ses rues étroites, mais propres ; on y respire la famille, l’ordre, une vie paisible, sans ennui.

Plombières, lundi 10 août. — Parti de Nancy à cinq heures du matin. Éveillé à quatre heures ; je