Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

sont imparfaites. Il y a un peu du reflet de cette exactitude outrée dans toute l’école qui commence au Poussin et aux Carrache. La sagesse est sans doute une qualité, mais elle n’ajoute pas de charme. Je compare la grâce des figures d’un Corrège, d’un Raphaël, d’un Michel-Ange, d’un Bonasone, d’un Primatice, à celle d’une ravissante femme, qui vous enchante sans qu’on sache pourquoi. Je compare, au contraire, la froide correction des figures du style français à ces grandes femmes bien bâties, mais dépourvues de charme.

25 mars. — Hier samedi, continuation du malaise, mais avec quelque mieux. Je lis toujours le roman de Dumas, de Nanon de Lartigues[1] : je dors par intervalles. Ce roman est charmant au commencement ; puis, comme à l’ordinaire, viennent des parties ennuyeuses, mal digérées ou emphatiques. Je ne vois pas encore poindre tout à fait dans celui-ci les passages prétendus dramatiques et passionnés, comme il en introduit dans tous ses romans, même les plus comiques.

Ce mélange du comique et du pathétique est décidément de mauvais goût. Il faut que l’esprit sache où il est, et même il faut qu’il sache où on le mène. Nous autres Français, familiarisés depuis long-

  1. Nanon de Lartigues, première partie du roman d’Alexandre Dumas : la Guerre des femmes, publié en 1844 dans la Patrie, et plus tard en deux volumes.