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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

place du vieux marronnier arraché à l’Ermitage. Mon cher petit Chopin s’élevait beaucoup contre l’école qui fait dériver une partie du charme de la musique de la sonorité. Il parlait en pianiste.

Voltaire définit le beau ce qui doit charmer l’esprit et les sens. Un motif musical peut parler à l’imagination sur un instrument qui n’a qu’une manière de plaire aux sens, mais la réunion de divers instruments ayant une sonorité différente donnera plus de force à la sensation. A quoi servirait d’employer tantôt la flûte, tantôt la trompette ? La première s’associera à un rendez-vous de deux amants, la seconde au triomphe d’un guerrier ; ainsi de suite. Dans le piano même, pourquoi employer tour à tour les sons étouffés ou les sons éclatants, si ce n’est pour renforcer l’idée exprimée ? Il faut blâmer la sonorité mise à la place de l’idée, et encore faut-il avouer qu’il y a dans certaines sonorités, indépendamment de l’expression même, un plaisir pour les sens.

Il en est de même pour la peinture : un simple trait exprime moins et plaît moins qu’un dessin qui rend les ombres et les lumières. Ce dernier exprimera moins qu’un tableau : je suppose toujours le tableau amené au degré d’harmonie où le dessin et la couleur se réunissent dans un effet unique. Il faut se rappeler ce peintre ancien qui, ayant exposé une peinture représentant un guerrier, faisait entendre en même temps derrière une tapisserie la fanfare d’une trompette.