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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

nures de langage plus incultes dans les poésies primitives ; en un mot, elle est plus dans l’habit de la pensée que dans la pensée elle-même.

Beaucoup de gens, surtout dans ce temps où on a cru qu’on allait retremper la langue et la rajeunir à volonté comme on rase un homme qui a la barbe trop longue, ne préfèrent Corneille à Racine que parce que la langue est moins polie dans le premier que dans le dernier de ces deux poètes. De même pour Michel-Ange et Rubens : la pratique de la fresque, qui était le moyen de Michel-Ange, force le peintre à une plus grande simplicité de moyen d’effet ; il en résulte, indépendamment du talent même, et par le fait des moyens matériels, une certaine grandeur, une nécessité de renoncer aux détails. Rubens, avec un autre procédé, trouve des effets différents qui satisfont à d’autres titres. Montesquieu dit bien : Deux beautés communes se défont, deux grandes beautés se font valoir. Un chef-d'œuvre de Rubens mis en pendant d’un chef-d'œuvre de Michel-Ange ne pâlira nullement. Si, au contraire, vous regardez séparément chacun de ces ouvrages, il arrivera sans doute qu'à proportion de votre impressionnabilité vous serez tout à celui que vous regardez. Une nature sensible est facilement possédée et entraînée par le beau ; vous serez à celui qui frappe vos yeux dans le moment. Il faut se servir des moyens qui sont familiers aux temps où vous vivez ; sans cela vous n'êtes pas compris et vous ne vivrez pas. Ce moyen d’un autre