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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Lundi 16 mars. — Il faut maintenant qu’un écrivain soit universel. La nuance entre le savant et le poète ou le romancier est complètement abolie. Le moindre roman demande plus d'érudition qu’un traité scientifique, que dis-je ? que vingt traités ! Car un savant est, ou un chimiste, ou un astronome, ou un géographe, ou un antiquaire ; il peut avoir une certaine teinture des connaissances qui touchent à celle dont il a fait l’occupation de sa vie ; mais plus il se renferme dans cette étude spéciale, plus il obtient de résultats de ses recherches. Il n’en est pas de même du métier de critique. La nécessité de parler de tout met dans l’obligation de savoir tout ; mais qui peut tout savoir ? Si j’apprenais l’hébreu, les sciences, l’histoire ? tout cela, c’est la mer à boire. Ainsi n’en apprennent-ils pas si long ! mais il leur faut un peu l’apparence de tout cela.

Je suis effrayé de ce qui peut passer sous les yeux d’un homme, comme Sainte-Beuve par exemple, de lectures diverses, digérées ou non. Voici aujourd’hui un article sur Tite-Live ; il raconte la vie de Tite-Live, détail peu connu, et dont les lecteurs ne s'étaient jamais embarrassés. Dans un article toujours trop long sur Virgile, Thierry, du Moniteur, après avoir parlé de la préférence que notre siècle accorde aux ouvrages de la première main, primitifs, etc., comme Homère, se demande si Virgile, venu trente ou quarante siècles après, pouvait faire une Iliade, et il ajoute : « Si les anciens sont à jamais nos maîtres, ne dédaignons pas