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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

s’est corrompu surtout quand les citoyens ont perdu le ressort qui portait aux grandes actions, quand la vertu publique a disparu ; et j’entends par là, non pas une vertu commune à tous les citoyens et les portant au bien, mais au moins ce simple respect de la morale qui force le vice à se cacher. Il est difficile de se figurer des Phidias et des Apelle sous le régime des affreux tyrans du Bas-Empire et au milieu de l’avilissement des âmes.

Y aurait-il une connexion nécessaire entre le bon et le beau ? Une société dégradée peut-elle se plaire aux choses élevées, dans quelque genre que ce soit ? Il est probable que chez nous aussi, dans nos sociétés comme elles sont, avec nos mœurs étroites, nos petits plaisirs mesquins, le beau ne peut être qu’un accident, et cet accident ne tient pas assez de place pour changer le goût et ramener au beau la généralité des esprits. Après vient la nuit et la barbarie.

Il y a donc incontestablement des époques où le beau en art fleurit plus à l’aise ; il est aussi des nations privilégiées pour certains dons de l’esprit, comme il est des contrées, des climats, qui favorisent l’expansion du beau.

Mardi 17 février. — Cinquième visite du docteur[1].

  1. Le docteur Rayer (1793-1867), qui fut professeur à la Faculté de médecine.
    Delacroix, depuis longtemps déjà, était atteint d’une affection du larynx, qui le condamnait fréquemment au repos et à l’isolement.