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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

à peu près sans doute comme Molière a pillé partout où il a trouvé. Je lui ai dit que ce qui était Mozart n’avait pas été pris à Galuppi ni à personne. Il met Lulli au-dessus de tout, même de Glück, qu’il admire pourtant fort.

Il a chanté des chansonnettes anciennes et charmantes, chantées avec le goût qu’il y met. Je lui ai fait remarquer que s’il prenait la peine de chanter avec le même soin la musique des grands musiciens qu’il n’aime pas, elle ferait autant d’effet, et peut-être davantage. Il a chanté le bel air de Telasco, toujours avec le même ravissement pour moi.

On passe à certains artistes leurs excentricités sur un point, sans diminuer de l’estime de leur talent : Delsarte est une espèce de fou dans sa conduite ; ses projets pour le bonheur de l’humanité, sa volonté persévérante de se faire pendant quelque temps médecin homéopathe, et enfin sa préférence ridicule et exclusive pour l’ancienne musique, qui est le pendant de son excentricité en manière de se conduire, le classent avec Ingres, par exemple, dont on dit qu’il se conduit comme un enfant, et qui a des préférences et des antipathies également sottes… Il manque quelque chose à ces gens-là. Ni Mozart, ni Molière, ni Racine ne devaient avoir de sottes préférences, ni de sottes antipathies ; leur raison, par conséquent, était à la hauteur de leur génie, ou plutôt était leur génie même.