Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

jeté entre l’esprit du peintre et celui du spectateur.

La froide exactitude n’est pas l’art : l’ingénieux artifice, quand il plaît et qu’il exprime, est l’art tout entier. La prétendue conscience de la plupart des peintres n’est que la perfection apportée laborieusement à l’art d’ennuyer.

L’expérience est indispensable pour apprendre tout le parti qu’on peut tirer de son instrument, mais surtout pour éviter ce qui ne doit pas être tenté. L’homme sans maturité se jette à tout propos dans des tentatives insensées en voulant faire rendre à l’art plus qu’il ne peut ou ne doit ; il n’arrive même pas à un certain degré de supériorité dans les limites du possible. Il ne faut pas oublier que le langage, et j’applique ceci au langage de tous les arts, est toujours imparfait. Le grand écrivain supplée à cette imperfection par le tour particulier qu’il donne à la langue de tout le monde ; l’expérience, mais surtout la confiance dans ses forces, donne au talent cette assurance d’avoir fait tout ce qui pouvait être fait. Il n’y a que les fous ou les impuissants qui se tourmentent pour l’impossible. L’homme supérieur sait s’arrêter : il sait qu’il a fait ce qu’il est possible de faire. Voir mes notes du 25 juin 1850[1].

Sans hardiesse et même sans une hardiesse extrême, il n’y a pas de beautés. Lord Byron vante le genièvre comme son Hippocrène à cause de la har-

  1. Non retrouvées.