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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

font avec application des parties de cartes ou bâillent solitairement au milieu de la cohue, quand ils ne trouvent personne à ennuyer.

3 février. — Chez Viardot. — Delangle[1].

5 février. — Chez Thiers, le soir : j’y suis resté très longtemps ; il m’a accaparé, et nous avons parlé guerre ; il a mis en poudre mon système.

En sortant et très tard, chez Halévy : calorifères étouffants. Sa pauvre femme emplit sa maison de vieux pots et de vieux meubles ; cette nouvelle folie le mènera à l’hôpital. Il est changé et vieilli : il a l’air d’un homme entraîné malgré lui. Comment peut-il travailler sérieusement au milieu de ce tumulte ? Son nouveau poste à l’Académie[2] doit prendre beaucoup sur son temps et l’écarter de plus en plus de la sérénité et de la tranquillité que demande le travail.

Sorti de ce gouffre le plus tôt que j’ai pu. L’air de la rue m’a semblé délicieux.

6 février. — Dîné chez la princesse. Elle me plaît toujours : elle avait une robe dont elle ne savait que faire ; l’étoffe en était si magnifique qu’elle ressemblait à une cuirasse de vingt aunes ; grâce à cette ampleur ridicule, toutes les femmes se ressemblent en ressemblant à des tonneaux.

  1. Delangle était alors premier président de la cour de Paris.
  2. Halévy avait été nommé secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts le 29 juillet 1854.